Vers la fin de l’illusion scolaire musulmane ?

Ou le désenchantement éducatif communautaire.

Partie 1

Comme une introduction à mon prochain essai (1) j’aimerais poser ici quelques réflexions inspirées des dernières batailles juridico-médiatiques, autour des établissements privés confessionnels dit aussi « à caractère propre ».

Sans revenir sur le cas de Notre-Dame de Bétharram ou l’école Stanislas (2), que d’aucuns auraient pu considérer leur couverture médiatique, comme des formes évidentes de double standard ou de traitement politique discriminatoire vis à vis des écoles privées selon leur confession dominante.
Soit d’une part une relative tolérance administrative, pour ces prestigieux établissements historiques et de l’autre une vindicte politico-médiatique avec restrictions financières immédiates, notamment pour les lycées musulmans Averroès et Al Kindi, dé-contractualisés aussitôt que quelques griefs relatifs leurs furent reprochés.

On dit donc désormais aux acteurs éducatifs musulmans, comme Balladur en 1995 : « Je vous demande de vous arrêter ! ».

Alors quel rapport avec l’auteur de la fin de l’illusion jacobine (3) et notre sujet me diriez-vous ?



Tentons cet exercice complexe - à partir d’un hors-sujet apparent - celui de trouver des liens logiques entre notre propos sur la Françislam et l’histoire politique française.

Essayons d’appréhender cette ironie de l’histoire, qui nous ramène régulièrement au sujet des communautés au sein de la République.

Tentons de comprendre ensemble un peu mieux, cette nouvelle question musulmane qui occupe bruyamment notre actualité depuis 40 ans (4).

Nouvelle question musulmane, qui succède à la question juive du XXème et la question protestante au XVIème.

Question musulmane apparue au XXème et qui peut selon moi incarner au XXIème une possible nouvelle guerre scolaire, sur fond communautariste voire « séparatiste », comme le consacre désormais le propos public.

Essayons cher lecteur, comme à notre habitude, d’introduire du complexe et du sérieux, en convoquant des références crédibles et les outils d’analyse que nous offrent notre longue histoire des disciplines sociales, mais tout en restant légers.

Car rire permet aussi de supporter la folie des hommes.


Complexité des enjeux, manipulations politiciennes court-termistes, géopolitique dangereuse, inconsistance du personnel politique, le tout sur fond de déclassement international de l’Occident, l’ambiance est désormais tendue et les pires émotions sont convoquées.

Dans ce contexte aussi difficile, les hommes et femmes de bonne volonté sont invités à méditer et prendre ces sujets au sérieux.

Nous sommes sérieux et aimons la France cher lecteur, nous aspirons à son redressement et à lui redonner une place alternative dans la géopolitique du monde qui vient.

Alors éloignons nous de ces constipations intellectuelles de plateaux télé, pour digérer en douceur ce plat consistant, qui engage notre avenir.

Au menu : comment gouverner notre nouvel empire intérieur et ses nombreuses tribus barbares installées dans nos forêts de béton qui s'étendent autour de la capitale ?


1. Intégration politique et gestion des minorités, d’un modèle l’autre.


Revenons donc pour commencer à notre dixième premier ministre de la Vème, à qui je pensais récemment, lorsque le pouvoir décida d’arrêter la progression des vaisseaux amiraux, du complexe scolaire musulman, les lycées Avéroes et Al Kindi.

La fin de la récréation a été sifflée et le pouvoir à signifié aux acteurs de l’école privée musulmane qu’il était temps de mettre fin à cette expérience sur fonds publics.

Après Balladur, Retailleau et avant lui Bertand disent désormais aux musulmans dans un autre registre : « Je vous demande de vous arrêter (...) », j’ajouterais « de créer des écoles ! ».

L’analyse ne s’arrête pas ici à ces jeux de mots, presque des boutades.

En effet, au delà de la question majeure et contingente de l’école privée - désormais musulmane - la France et l’islam, se retrouvent encore comme souvent dans l’histoire de France, mêlés à une controverse et un rapport de force inédit.

Comme je le répète depuis 25 ans, la France et l’islam, c’est l’histoire d’une passion ambivalente, un sujet historique majeur qui s’entremêle et se perpétue depuis plus d’un millénaire. Une ambivalence sentimentale, faite de colères et d’affections, de guerres séculaires et d’alliances encore plus longues, de fascination et de répulsion, de mariages seigneuriaux et de divorces politiques et beaucoup de rendez-vous historiques manqués.

Petite digression historique pour mieux aborder notre polémique du moment.

Remontons à Charlemagne et Haroun Al Rashid, avec leur alliance, celle des deux plus puissants empereurs de leur époque.

Un échange diplomatique débuté au VIIIème - qui consacre par la bouche de Charlemagne dans notre dictionnaire, « le travail d’arabe », synonyme médieval de travail d’orfèvre - jusqu’à l’avenir de l’école privée musulmane en banlieue, lieu du ban ou sont bannis ceux dont le « travail d’arabe » est devenu aujourd’hui, synonyme de vente à la sauvette de Marlboro frelatées et de médiocrité.

De l’empire carolingien à la future VIème République française, c’est une longue histoire de 14 siècles de liens complexes, qui incarnent ce que j’ai nommé la Françislam, imitant ainsi la Françafrique de Jean Piot (1945).


Les envoyés du calife Harun al-Rashid offrant une horloge à Charlemagne
Peinture 1660 · Jacob Jordaens


Deux néologismes qui privilégient d’abord une logique de « puissance géopolitique potentielle » pour la France, au lieu d’une relation toxique qui se solderait par une fracture violente démesurée.

J’espère éviter ainsi à ma Françislam, le destin funeste post-colonial de la Françafrique, démontré et popularisé par F-X. Verschave, comme « le plus long scandale de la République » (5). La Françislam, ce fut notamment l’alliance franco-ottomane – la plus longe alliance militaire de l’histoire de France - dont les conséquences historiques, sous-estimées, continuent encore aujourd’hui.

Alors poursuivons avec l’empire ottoman et comme on ne s’y attendait peut-être pas, avec à nouveau la figure de Balladur, lui même !

Le dernier califat musulman offrira à la France, Édouard Balladur, ce français de souche extra-européenne, arménien, né au pays de la sharia ottomane et qui finit premier ministre de la France.

Excusez du peu, bienvenue en Françislam monsieur Zemmour !

Il n’y a pas de quoi s’étonner en vérité, car rien de nouveau autour de notre Mare nostrum.

Rappelons qu’il y à moins de 2000 ans, les ancêtres berbères de nos barbares intérieurs de banlieues, avaient déjà donné plusieurs empereurs et généraux importants à Rome.

Comme St Augustin l’algérien ou Tertullien le tunisien, furent des pères majeurs de l’Église issus de cette Afrique du Nord, devenue Occident Islamique (el maghrib el islami), sous la plume des historiens arabes.
Complexité et interaction de la géographie et de l’Histoire, la Méditerranée est notre destin collectif depuis toujours, un point de vue du Nord et un point d evue du Sud.


Ainsi la famille arménienne Balladur, trouva refuge il y à plusieurs siècles chez les ottomans musulmans, pour se préserver des violences perses. Elle devint, par le processus califal multiséculaire d’intégration communautaire, une riche famille commerçante et de banquiers, au service de l’empereur ottoman.

Là aussi rien de nouveau autour de notre Méditerranée.

Des premiers monarques musulmans arabes et leurs généraux berbères et wisigoths convertis du premier siècle hégirien, en passant par Saladin le kurde et son médecin juif, le grand Maîmonide, jusqu’au roi actuel arabo-berbère du Maroc et son conseiller juif Azoulay, le modèle d’intégration des élites communautaires dans l’espace musulman - malgré les répressions et violences épisodiques de l’histoire - est resté une constante de la gouvernance des minorités, au sein de l’empire islamique.

Ironie de l’histoire, la famille Balladur, dut fuir la nouvelle république laïque turque, à cause de ses massacres d’arméniens.

La République des jeunes turcs, premier modèle républicain révolutionnaire implanté en terre d’islam, fut inspirée par la révolution française (6). Particulièrement en matière de laïcité radicale offensive, caractérisée en France entre autres, par des décapitations massives, un anticléricalisme fanatique et le renversement de l’ordre traditionnel et monarchique antérieur.

Ainsi en fuyant le monde musulman et à défaut d’être banquier du calife comme son père, le jeune Édouard par l’école de la République et la fabrique assimilationniste de l’élite française, finit premier ministre.

Deux modèles de promotion méritocratiques, le communautarisme intégrationniste califal et la méritocratie assimilationniste jacobine française.

Deux modèles de production d’élites, les unes issues des nombreuses communautés minoritaires de l’empire islamique aux mille tribus et peuples, les autres, paysans montés à Paris, venant des régions françaises enracinées et longtemps réfractaires au jacobinisme unificateur ou composées d’étrangers implantés en métropole par notre histoire économique et politique.

De Mazarin l’italien, à Rachida Dati la marocaine, en passant par Gaston Monnerville - descendant insulaire d’esclaves africains et numéro deux (7) du pouvoir Gaulliste – sans oublier Léon Blum le juif, Sarkozy le roumain, c’est une longue tradition française multiséculaire de fabrique du français, quelque soit son origine ethnique ou sociale, Bérégovoy, autre 1er ministre, avait un CAP de dessinateur industriel.

Une fabrique du français, d’élite ou du peuple, malheureusement en panne aujourd’hui.


Assimilation, intégration, communautarisme participatif ou de séparation, les modèles de gouvernance des minorités s’opposent et se comparent dans le débat public, à l’anglo-saxonne ou à la française, mille nuances existent aujourd’hui et chaque modèle présente ses limites et ses contradictions.

Restons dans notre sujet pour ne pas aller trop loin, je me demande donc de m’arrêter ici !

Je conclue mon introduction pour simplement souligner à quel point l’histoire de France, de ses élites dirigeantes et la question de ses minorités (on dit diversité au XXIème siècle), sont des constantes qui s’imposent dans le débat public et engagent l’avenir, voire la survie de la France.


Pouvons-nous gouverner notre nouvel empire intérieur composés de peuples transplantés, sans chocs culturels, ni stress anthropologique ?

Nos barbares intérieurs veulent-ils une forme d’autonomie éducative ou vont-ils tenter de brûler Lutèce ?
Allons nous assister à une nouvelle guerre scolaire, faute d’élites raisonnables issues de la fabrique du français ?

1 : La nouvelle guerre scolaire A. BAGHEZZA – 2025 – Auto-édition

2 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/09/09/ecole-privee-stanislas-un-ancien-responsable-d-internat-condamne-a-un-an-de-prison-avec-sursis_6309252_3224.html

3 : La fin de l'illusion jacobine - Édouard Balladur – Éditions FAYARD - 2005

4 : La grève des ouvriers étrangers de 1983 et son islamisation politique par Pierre Mauroy constitue selon moi, le premier choc médiatique dû à la question musulmane en Métropole.

5 : Françafrique : Le plus long scandale de la République - François-Xavier Verschave – Éditions STOCK – 2003
6 : La Turquie moderne, Erik Jan Zürcher, CNRS Éditions, 2004

7 : G. Monnerville 1897-1991 - Président du Sénat de 1947 à 1968 – Petit fils d’esclave, par son poste au Sénat, en vertu de la Constitution de la Vème était en cas de décès du président le dirigeant de fait de la France.

Partie 2


Épisode 3

Albert ALI

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